Sommaire
- Une interview atypique pour Emmanuel Macron dans Pif, le mag
- Un choix étonnant : Emmanuel Macron s’exprime dans Pif, le mag
- Pif Gadget : le magazine très politique
- Défense d’une culture populaire
- La renaissance de Pif Gadget sous la direction de Frédéric Lefebvre
- Pif Gadget : Un nouveau mag, mais pas au goût de tous
En pleine contestation de la réforme des retraites, Emmanuel Macron a donc choisi de s’exprimer dans… « Pif, le mag », la version moderne du célèbre magazine pour enfants. Autrefois dirigée par des proches du parti communiste, la revue possède une riche histoire politique.
Une interview atypique pour Emmanuel Macron dans Pif, le mag
« Pouvez-vous quitter votre poste en plein mandat, et comment ça se passerait si vous le quittiez ? » Cette question n’a pas été posée à Emmanuel Macron par un journaliste, mais par Mélina, une élève en classe de quatrième, invitée par la revue pour enfants Pif, le mag à interviewer le président de la République sur l’actualité du moment. Paru en kiosques dans le numéro de ce mercredi 29 mars, l’entretien avait été réalisé durant le mois de février. L’échange avec les jeunes lecteurs du magazine intervient à l’occasion du 75e anniversaire du média, qui a connu durant les années 1970 et 1980 un important succès auprès de toute une génération.
- Massé Rodolphe (Auteur)
- Collectif (Auteur)
Un choix étonnant : Emmanuel Macron s’exprime dans Pif, le mag
Le choix fait par l’équipe de communication de l’Élysée de laisser s’exprimer Emmanuel Macron dans ce média peut surprendre. Le Président s’était jusqu’alors contenté d’une interview télévisée au JT de 13 heures de TF1 et de France 2 le 22 mars dernier comme seul passage médiatique depuis le début de la mobilisation contre la réforme des retraites. Dans le contexte social explosif du moment, son interview dans Pif, le mag paraît d’autant plus décalée, au vu de la longue proximité politique du magazine avec le Parti communiste français (PCF).
Pif Gadget : le magazine très politique
Pour comprendre ce que représentait Pif Gadget à la fin des Trente Glorieuses, il faut avoir à l’esprit les chiffres du tirage du magazine, parfois imprimé jusqu’à un million d’exemplaires. Destiné aux enfants, le journal est l’héritier d’un autre titre, le magazine Vaillant, qui s’inscrivait lui-même dans la tendance communiste. Au sein de cette revue, on suivait déjà les aventures de Pif, un chien héros d’une bande dessinée d’abord créé en 1948 pour le journal L’Humanité, organe officiel du PCF. Vingt ans plus tard, en 1969, Pif Gadget naît et prend la place de Vaillant dans les kiosques ; la proximité du journal avec le PCF, elle, n’est pas rompue.
Le choix fait par l’équipe de communication de l’Élysée de laisser s’exprimer Emmanuel Macron dans ce média peut surprendre. Le Président s’était jusqu’alors contenté d’une interview télévisée au JT de 13 heures de TF1 et de France 2 le 22 mars dernier comme seul passage médiatique depuis le début de la mobilisation contre la réforme des retraites. Dans le contexte social explosif du moment, son interview dans Pif, le mag paraît d’autant plus décalée, au vu de la longue proximité politique du magazine avec le Parti communiste français (PCF).
Le journal est dès l’origine associé à des groupes d’édition liés au parti de Georges Marchais, bien que le PCF n’en soit pas officiellement propriétaire. « Cependant, les actionnaires de ces éditeurs sont des membres du Parti communiste », précise à Marianne le chercheur Maël Rannou, qui a écrit l’essai Pif Gadget et le Communisme, 1969-1993, un hebdomadaire de BD et ses liens avec le parti communiste français (PLG, 2022). Toutefois, dans les pages de l’hebdomadaire, ni d’interview de Georges Marchais, ni la retranscription des paroles de « L’Internationale » ne figurent : la promotion de l’idéologie communiste est en réalité beaucoup moins directe.
Outre le gadget offert à chaque parution, Pif Gadget offre principalement dans ses pages une multitude de bandes dessinées. C’est en parcourant ces différentes séries que l’on peut observer l’affinité singulière du journal avec les valeurs « communistes, décoloniales et internationalistes », relève Maël Rannou. Dès 1970, la parution de la série Docteur Justice dans le magazine, racontant les aventures d’un justicier expert en arts martiaux, témoigne de cette perspective. « Docteur Justice est un héros scientifique et internationaliste. Dans la BD, il se rend auprès de peuples étrangers et dénonce la corruption des puissants, de l’industrie pharmaceutique, des États qui détournent l’argent contre les pauvres… Comparé aux discours de charité des revues d’inspiration catholique [publiées à la même époque], c’est un discours très fort. » D’autres bandes dessinées publiées dans Pif Gadget, telles que Cogan ou Masquerouge, contribueront à soutenir cette idéologie au sein du magazine jusqu’à sa première disparition en 1993.
Défense d’une culture populaire
Le magazine valorise une culture populaire française, se distinguant de la ligne éditoriale américanisée du Journal de Mickey, un de ses concurrents de l’époque. À la différence d’autres publications jeunesse telles que Spirou, Pif Gadget est également l’un des rares magazines à proposer à ses lecteurs des histoires complètes, sans nécessiter l’achat d’un nouveau numéro pour connaître le dénouement d’une intrigue. « Tout en récits complets », promet d’ailleurs le slogan du magazine lors de son lancement.
Dans les quelques encarts rédactionnels du magazine, il arrive occasionnellement d’aborder des sujets plus sérieux : l’histoire, le travail, la science… Mais toujours à hauteur d’enfant : « en 1989, pour le bicentenaire de la Révolution française, Pif Gadget va revenir sur cet événement historique pendant un an et demi et parler de ce qu’est l’oppression… Mais toujours en prenant l’angle de la vie des enfants », explique Maël Rannou.
La renaissance de Pif Gadget sous la direction de Frédéric Lefebvre
Deux ans après la fin de l’Union soviétique, alors que le mouvement communiste perdait de son influence dans l’opinion publique, Pif Gadget disparaît une première fois. Depuis les années 2000, des personnes proches du journal L’Humanité ont essayé à plusieurs reprises de relancer le titre, sans grand succès. Toutes ces tentatives se sont soldées par un nouvel échec, après la publication de seulement quelques numéros. En fin d’année 2020, une nouvelle version de Pif Gadget est de nouveau annoncée. À sa tête, un ancien responsable politique… du Parti communiste ? Non, pas du tout : le repreneur n’est autre que Frédéric Lefebvre, ancien secrétaire d’État au Commerce sous Nicolas Sarkozy.
Pif Gadget : Un nouveau mag, mais pas au goût de tous
Fan de Pif Gadget lorsqu’il était enfant, l’ex-ministre Frédéric Lefebvre expliquait en 2020 dans une interview publiée sur le site Entreprendre.fr vouloir « mener un triple combat ». « Défendre notre planète, promouvoir une action solidaire et soutenir la cause animale », voilà donc selon lui les trois valeurs défendues dans ce Pif Gadget modernisé sous le nom de Pif, le mag. Une nouvelle formule « qui ne plaira pas à tout le monde », avait prévenu Frédéric Lefebvre. Il n’avait pas tort : la même année, Claude Gendrot, ancien rédacteur en chef de Pif Gadget, regrettait dans Le Monde un projet qui « touche le fond ». « J’y vois même une manière de trahison », expliquait celui qui était responsable du célèbre journal entre 1972 et 1980. « Pour relancer l’aventure, il faudrait lui donner du sens et, d’abord, réfléchir à ce qu’elle représentait en termes de création. » Pas sûr que l’entretien avec Emmanuel Macron, président libéral, dans un journal que les familles bourgeoises n’achetaient pas à leurs enfants parce que marqué au fer « rouge » aille dans le « sens » que Gendrot souhaitait.
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